Billets qui ont 'jrs jeune' comme autre lieu.

Hébergement

Ce matin il y a beaucoup moins d'élèves en niveau avancé et nous nous retrouvons à deux pour quatre élèves, trois Iraniens et un Turc «d'origine kurde» précise-t-il toujours à l'enregistrement du matin — et c'est aussitôt déchirant de l'enregistrer comme turc.
L'autre animateur a prévu un petit jeu écrit — ce que je trouve étrange et scolaire puisque nous devons faire de la conversation française. Cela nous prend beaucoup de temps et il nous reste une heure pour traiter le thème du jour: la géographie.

Sans doute est-ce parce que j'ai consenti à son idée que l'autre animateur consent à la mienne: demander aux participants de nous expliquer la géographie de leur pays plutôt que nous celle de la France. Le Turc est en minorité devant l'enthousiasme des Iraniens pour leur pays: il faut absolument visiter l'Iran, c'est très beau, très varié (point culture: les plages sont non mixtes ce qui permet aux femmes de se baigner).
Plus tard lors du débrief inévitablement je me demanderai si je n'ai pas eu tort, s'il ne leur aurait pas été plus utile qu'on leur présente la France et ses régions.

Aujourd'hui j'ai appris que le prénom "Sader" voulait dire honnête et que la plupart des prénoms arabes ont une signification.

Le soir nous hébergeons AC, ma copine de St Brieuc. Elle fait une escale en route vers les Vosges.
Nous dînons au restaurant réunionnais en parlant principalement des malheurs (professionnels) d'Hervé.

Technologies

Le cours d'aujourd'hui portait sur les technologies. Je n'avais pas repéré que nous avions reçu les fiches de vocabulaire via un lien googledoc et je me demandais de quoi il fallait parler. En fait il s'agissait des technologies numériques, tout le vocabulaire des claviers, applications, internet…
J'ai trois élèves, aucun de ceux d'hier n'est revenu (c'est un peu inquiétant). J'apprends que les Iraniens et les Afghans se comprennent, que les Afghans parlent dari et pachtou et que le dari et le farsi sont très proches — mais qu'il existe une multitudes de langues en Afghanistan. (Je n'avais jamais entendu ce mot de "dari").

J'écris tout au tableau, Anne-Lise la prof de FLE reste un moment dans la salle pour voir comment ça se passe. Je joue un peu avec le franglais, «Google it!»
A la fin du cours, B** me demande: «est-ce que tu pourrais me donner un exemple de phrase avec le mot "numérique"? J'ai l'impression de connaître plein de mots que personne n'utilise.»
Je reste sèche.

Débrief. Un animateur en cours avancé a organisé un débat pour ou contre numérique pour les enfants, un autre a simulé l'achat d'un portable à la Fnac. Mince, je n'ai pas du tout pensé à cela, quand j'ai voulu préparer le cours hier j'ai focalisé sur «technologies» parce que je me demandais ce que cela recouvrait, et j'ai oublié l'aspect «conversation». J'exprime ma gêne durant le cours à utiliser certains mots technologiques en sachant le prix de ces objets, on me regarde avec incompréhension. J'exprime ma crainte de trop parler. Plus tard Anne-Lise croisée dans la cour me dira avec son grand sourire doux: «tu es dure avec toi-même».

Belle sortie en quatre, soleil et douceur.
Jean-François, moi, Bertrand et X. Le quatre des deux Eric n'a pas réussi à nous distancer, et comme ils sont imbus de leur force, ils font la tête (mais ils sont lourds, nous étions plus légers et plus techniques: l'aviron est un sport de glisse). Le soir dans la cuisine, j'aperçois des visiteurs à travers la vitre. Joie et bonheur, cela faisait plusieurs années que le dernier avait disparu.



(A noter, la bassine pour les déchets destinés aux poules. Et les limaces, délice des hérissons.)

Premier jour

Première journée à l'école d'été des JRS. Il y a beaucoup de monde dans la cour quand j'arrive, toute une foule joyeuse (en fait environ soixante: le maximum que l'on peut accueillir dans les salles dans le respect des règles sanitaires) qui est filtrée par deux professeurs de FLE qui évaluent leur niveau (débutant, intermédiaire, avancé) avant que chacun ne s'enregistre (ce qui permet de les compter et de prendre leur téléphone pour leur envoyer des sms d'invitation et de rappel) et descendent dans la grande salle prendre un café (ou plutôt du thé: une population, masculine à 90%, qui prend du thé) et manger une tartine (à la confiture de rhubarbe? Ils aiment la rhubarbe? Ne font-ils pas la grimace en en découvrant le goût?)

J'anime un groupe avancé sur le thème des métiers et des professions. Je suis seule avec eux; les animateurs des groupes débutants et intermédiaires sont en binôme. Ils sont trois jeunes hommes, un qui travaille, un qui attend des papiers (ou attend d'être refoulé, si on est pessimiste) et un étudiant, deux Afghans et un Syrien.

Celui qui était salarié travaillait à Auchan au rayon PGC (produits de grande consommation). Par chance j'ai travaillé dans cette enseigne il y a trèèès longtemps (mon premier emploi) ce qui me permet de connaître certains des sigles utilisés. J'ai sans doute trop parlé, je tente de leur donner du vocabulaire pour le quotidien, pour leur permettre de comprendre ce qu'ils entendent autour d'eux ou à la télévision.

Rayons, rayonnage, rayonner de joie: comment dit-on le contraire de rayonner de joie? «Je suis triste, je devais aller en Iran en mars, ma mère avait un visa entre l'Iran et l'Afghanistan, on devait se revoir, puis le covid est arrivé, et maintenant son visa n'est plus bon.»
Il parle de la vie difficile de smicard en région parisienne. Son idée est de faire venir sa famille, mais c'est dur avec un tel salaire. J'explique «coût de la vie»: «tu pourrais aller en province: le salaire serait le même, mais le loyer moins cher.» Mais il m'explique qu'il a besoin de Paris, pour jrs, ses cours de français, pour toutes les structures associatives et administratives. J'explique les départements, les préfectures, les antennes JRS comme Angers, Dijon… (il y en a sept mais je ne les connais pas toutes).

Moslem a expliqué en se présentant qu'il songeait à changer de nom: les Français ne comprennent pas son prénom et imaginent qu'il est en train de dire qu'il est musulman. Il est en attente de papiers et il exprime sa frustration: «je perds mon temps. Un an que je suis là et je ne fais rien, je vieillis, ma vie s'en va». (Je rappelle qu'en attendant la reconnaissance de son statut de réfugiée, une personne ne peut pas travailler, d'où beaucoup de solitude et d'ennui — d'où l'idée des jrs jeunes.)

Séance de débrief ensuite avec tous les animateurs. J'arrive très en retard, (je ne savais pas où c'était) et je n'entends pas ce que disent les autres, dommage. Un animateur de groupe avancé a imaginé un jeu de rôle sous forme d'entretien d'embauche: mais oui, quelle bonne idée, voilà comment les faire parler, plutôt que ce que j'ai fait.
Et je sais qu'il faut que je fasse taire cette voix, que c'était bien, que ça s'est bien passé, que nous avons passé un bon moment ensemble, que tout va bien, et que je dois arrêter de douter.

Le plus dur finalement est de ne parler de rien à la maison. Je ne suis pas sûre que H. apprécie que je rencontre trois réfugiés dans un espace confiné car le virus est toujours une grande source d'inquiétude.

J'ai fini Tchernobyl. Le dernier épisode pourrait être un commentaire de l'époque actuelle: la science n'est pas une idéologie, elle résiste à la propagande. Annoncer 3,5 röntgens de radiation quand la réalité est à 400 ou 4000 ne fera pas descendre le niveau à 3,5. Le mensonge ne peut pas tout cacher.
Soutenir que les vaccins sont nocifs ou que le covid n'existe pas — a ou aura des conséquences réelles sur la vie — et la mort — des gens.
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